samedi 15 mars 2014

du rien

C’est toujours assez insupportable. Au début ça ressemble à un voyage de classe et l’on s’arrête fréquemment à ses aires d’autoroute, perdus dans les forêts vides qui entourent nos autoroutes sans fin. Tout semble aller si bien dans nos vagues souvenirs, des photos floues comme d’horribles mises en scène d’une pièce de théâtre à l’initiative de vrais enfants qui ne savent rien, ne veulent rien savoir et crient et respirent sous de mauvais projecteurs. Il y a du rire, de la musique et on attire vaguement l’attention par quelque remarque qui pourra marquer l’attention jusqu’à plus de 24 heures. C’est un record personnel, ça ressemble à l’apogée d’une courte vie, un objectif trop vite fixé, une superficialité latente qui n’attendait que ça pour se déclarer. Tout allait bien et puis ça continuait, avec ses hauts et ses bas, comme la totalité de notre vie, c’était qu’une question de temps avant que les choses se fixent, que les choses dérapent, que les choses partent si mal et déraillent. Le train de la pensée qui déraille dans les aires d’autoroute, ça s’est juste fait tout doucement, presque délicatement quand on y repense. Les évènements qui nous bousculaient alors ne sont plus qu’un vague enchaînement de détails de la vie et tout continuera avec,  jamais sans. C’est comme ça qu’il faut faire, même s’il y a toujours ce truc du passé qui te hante la nuit et que les fantômes ne meurent jamais vraiment, il faut juste aller retrouver le bus avec les autres et continuer comme ça, même quand le chauffeur repasse en boucle ses vieux CD. Il fait pareil avec les nouveaux de toute façon. Les gens t’ont entouré et oppressé de leurs paroles aux accents outrageusement réalistes. Mais rien n’était jamais que mensonge et le noir réconfortant de la nuit t’accueille peu à peu en son sein à la façon dont on aime que les choses se fassent, sans que rien ne se passe, juste se laisser flotter dans un univers immatériel, là où les cris des enfants se perdent dans la nuit, là où il ne dépend plus que de nous pour retourner voir les lumières. On apprend à apprécier les lumières blafardes des stations essence, leur charme familier, la machine à café qui marche mal et les reflets infinis et verdâtres dans les vitres sales des toilettes. Ce n’est plus que le début d’un voyage d’affaire et l’on s’arrête aléatoirement à ses aires d’autoroute, au ras des grandes forêts qui constituent notre quota de paysage défilant à nos côtés tous les jours. Comme un compagnon inconnu, l’arbre comme le motif infini autour de nous, au-delà des routes et des machines à café, bordant les banlieues, inconnu silencieux. L’agitation n’est qu’un détail futile duquel nous avons appris à nous méfier tranquillement. On baisse la tête, on avance, dehors il fait frais et il y a les phares des machines qui, l’espace de quelques secondes, nous font nous interroger sur la véritable destination de notre voyage. On apprend à apprécier les camionneurs silencieux qui prennent leur café, la radio locale et les yeux fatigués au-dessus des cernes violacées, dans le miroir sale des toilettes. Mais que contiennent les grandes forêts de notre enfance, à qui appartiennent-elles sinon à notre futur ? Maintenant ce n’est que la nuit, le soleil se lèvera-t-il jamais.